Turritopsis Dohrnii, un être immortel (SVT)

La découverte de Turritopsis dohrnii

En 1988, une incroyable découverte a été faite dans les fonds océaniques. Une des rares manifestation connue aujourd'hui de la vie éternelle se cachaient dans les profondeurs marines. La découverte a été faite inconsciemment par Christian Sommer, un étudiant allemand en biologie marine qui passait son été dans une petite ville sur la Riviera italienne.

Sommer faisait des recherches sur des hydrozoas, un groupe appartenant à la famille des cnidaires. Chaque matin, il allait naviguer au schnorchel dans l'eau turquoise des falaises de Portofino. Recueillant des hydrozoas avec des filets de plancton, il balayait le fond océanique. Parmi les centaines organismes qu'il a recueilli se trouvait une espèce minuscule connue des biologistes sous le nom de Turritopsis dohrnii. Aujourd'hui on la nomme généralement méduse immortelle.

Sommer a maintenu Turritopsis dohrnii dans des boîtes de Pétri et a observé leurs habitudes de reproduction. Après plusieurs jours, il a remarqué que cette méduse se comportait d'une façon très particulière, qu' il ne sût expliquer. Faisant remarquer lors d'une interview qu'« elle [avait] refusé de mourir », il souligna qu"elle avait semblé vieillir à l'envers, revenir sous la forme de polype puis reprendre le cycle de sa vie. Sommer, dérouté par ce constat,  n'a pas immédiatement saisi son importance. Plusieurs biologistes génois, fascinés par la trouvaille de Sommer, ont continué d' étudier cette espèce. Dès 1996, ils publièrent un article intitulé « Inverser le cycle de vie. ». Les scientifiques décrivaient comment l'espèces à toute étape de son développement  pouvait se transformer de nouveau en polype.


Qui est réellement Turritopsis Dohrnii ?

Turritopsis dohrnii est une minuscule méduse translucide vivant dans différents océans et mer du monde comme en Atlantique, Méditerranée ou Pacifique. Elle ne mesure que quelques millimètre même à l'âge adulte. Cette méduse, même minuscule possèdent de nombreuses cellules urticantes. Cependant, du fait de sa très petite taille, elle est inoffensive pour l'Homme.

Cette méduse appartient à l'embranchement des cnidaires, du grec cnide signifiant « qui pique ». Elle n'arbore que 8 tentacules dans les eaux tropicales tandis qu'elle peut en cumuler jusqu'à 24 dans les régions tempérés. Elle est capable de changer de morphologie en fonction de l'endroit où elle se trouve, ce qui rend son identification plus difficile. Ainsi, les scientifiques ont mis longtemps avant de remarquer qu'elle envahit petit à petit tous les océan du globe.

                                 
                                      

Depuis 1990, les chercheurs savent que cet être gélatineux aux allures primitives à l'incroyable capacité de rajeunir. Cette méduse est un cas unique dans le règne animal. C'est la seule à savoir se métamorphoser pour remonter le temps, reprendre le cours d'une vie normale et vieillir à nouveau. Un peu comme si un papillon, afin d'éviter la mort, redevenait soudain une chrysalide pour s'offrir une seconde existence ou que l'homme rajeunissait comme dans L'Etrange Histoire de Benjamin Button. Turritopsis dohrnii est d'ailleurs parfois désigné sous le nom de méduses de Benjamin Button. Capable de renouveler ce miracle autant de fois qu'elle le souhaite, elle est donc jugée potentiellement immortelle. Mais, il lui arrive néanmoins de mourir, sinon nous serions envahi.

 

Une clé vers l'immortalité ?

La publication de l'article « Inverser le cycle de la vie » est passée pratiquement inaperçue mis à part dans les universités. On aurait pu immaginer le déploiement  de tous les moyens humains pour mieux comprendre la méduse suite à la confirmation de sa potentielle immortalité. On aurait pu imaginer aussi l'entrée en concurrence des multinationales de la biotechnologie pour s’emparer des droits du génome de Turritopsis dohrnii, de manière à ce que de nombreux chercheurs s'activent afin de percer le mystère de la méduse. On aurait pu s'attendre à ce que des firmes pharmaceutiques tentent d'en tirer des enseignements afin de faire progresser la médecine. On aurait pu s'attendre à ce que les hommes exploitent cette ressource, cette clé qui nous permettraient peut-être d’accéder à l'immortalité. Mais rien de tout cela ne c'est produit. En effet, aujourd'hui, il y a très peu de spécialistes dans le monde qui étudient ces cnidaires. Il y a nettement plus par exemple de scientifiques étudiant les crabes comme l'a expliqué James Carlton, professeur de sciences marines au Williams College et directeur du Programme d’Études Maritimes de Williams-Mystic, lors d'une interview « Trouver d’excellents experts en hydroïdes est très difficile ». De plus, cultiver Turritopsis dohrnii dans un laboratoire est très compliqué. L'espèce exige beaucoup d'attention, beaucoup de travail répétitif et pénible et ne peut se reproduire que dans des conditions particulières.



Shin Kubota

Aujourd'hui, le seul scientifique ayant réussit à cultiver des polypes de Turritopsis dans un laboratoire travaille seul, sans financement et sans équipe, dans un bureau à Shirahama, au Japon. Shin Kubota est aujourd'hui l'homme le plus renseigné du monde sur Turritopsis dohrnii. En effet, la seule population de Turritopsis captive au monde vit dans des boîtes de Pétri rangés dans un petit réfrigérateur dans le bureau de Kubota. Il estime que ses 3 boîtes contiennent au moins 100 spécimens.

 
                                                                            

Pendant les 15 dernières années, Kubota a passé au moins 3 heures par jour à s'occuper de sa progéniture. Chaque jours, il enlevait chaque boîte du réfrigérateur, changeait l'eau puis les examinait au microscope pour s'assurer de leur santé. Il les nourrissait avec des kystes d'artemia, des œufs secs de crevettes de saumure moissonnés du Grand Lac Salé de Utah. Même si les kystes étaient minuscules, à peine visibles à l’œil nu, ils étaient souvent trop grands pour qu'une méduse ne les digère. Kubota devait donc les couper à l'aide d'une aiguille grace au microscope. Ces échantillons d'espèces le suivaient même à l'étranger grace à un refroidisseur portatif !

 

Expérience de Kubuta

Pour montrer comment Turritopsis rajeunit, Kubota a donné des coups à une de ses méduses. Pendant une semaine, chaque jour, nous pouvions observer la transformation de la méduse. Au bout du deuxième jour, la méduse s'était attachée au fond de la boîte de Pétri. Ses tentacules se repliaient sur elles-même. Elle avait enclenché le processus de transdifférenciation. Au bout du 4ème jour, l'organisme ne ressemblait plus à une méduse, mais à une boulettte de viande, comme le surnommait Kubuta a ce stade. À la fin de la semaine, les stolons avaient commencés à « pousser » sur la boulette de viande.           

                                 

 

 

Comment les méduses de Benjamin Button rajeunissent-elles ?

Comment une espèce peut-elle désobéir à la loi la plus fondamentale du monde naturel, au cycle de la vie ?

Cette méduse est le seul être vivant connu à ce jour étant capable de redevenir jeune. En effet, au moindre stress ou lorsque celle-ci est affamée ou pressent que sa fin est proche, elle enclenche le mécanisme de rajeunissement.

Pour mieux comprendre le comportement de Turritopsis dohrnii, il faut retracer le cycle de sa vie. En temps normal, la méduse se reproduit puis meurt de façon très banale. Les mâles lâchent leur spermatozoïdes et les femelles lâchent leurs ovules dans l'eau. Après la fécondation, un oeuf se forme puis évolue en quelques heures jusqu'à devenir une petite larve. Puis, la larve cherche à se fixer sur un support. En effet, la plupart des méduses ont la particularité d'avoir deux phases dans leur existence. Une première phase dite fixe, le polype (larve fixée sur un support) et une deuxième phase dite libre (méduse adulte). Une fois fixée, la larve s'allonge, une couronne de petites tentacules se forme à son sommet: la larve est alors appelée polype. Sur sa tige, se forme des bourgeons, qui ensuite se détachent à une période bien précise de l'année. Ces bourgeons sont en fait de petites méduses qui vont alors poursuivre leur croissance, se reproduire puis mourir.

Cependant, lorsque celle-ci est stressée, affamée ou se sent mourir, elle décide de remonter le temps et de retrouver la phase fixe de son enfance. Ses tentacules se contractent, sa taille se réduit jusqu'à redevenir un polype. Ce rajeunissement met en jeu un processus très particulier, la transdiffération. Au cours du développement d'un organisme, de sa conception à sa forme mature, les cellules qui le composent se spécialisent. Elles deviennent des cellules de nerfs, de muscles,... La transdifférenciation correspond en fait au mouvement inverse: des cellules spécialisées retrouvent leur état originel de cellule souche ! Stéfano Piraino, biologiste à l'université de Lecce, en Italie dit avoir identifié quelques gènes qui sont activés lorsque le processus de rajeunissement est activé mais ce phénomène garde encore de nombreux mystères.

 

                     

                

 

À quoi pourrait servir Turritopsis Dohrnii ?

Beaucoup de biologistes marins n'aiment pas évoquer cet être comme étant immortel. En effet, Boero, un scientifique étudiant la méduse a dit  lors d'une interview en 2009 « Je préfère me concentrer sur une forme légèrement plus rationnelle de la science ». Kubota, lui, n’a pas de telle réserve. « Ce que Turritopsis peut apporter à l’être humain est le plus merveilleux rêve de notre espèce», a-t-il confié à un journaliste du New York Times.

« Une fois que nous aurons déterminé comment la méduse procède pour se rajeunir, nous devrions pouvoir accomplir de grandes choses. Mon avis est que nous allons évoluer et devenir nous-mêmes immortels. ».

« Il y a une quantité choquante de similitude génétique entre les méduses et les êtres humains » à dit Kevin J. Peterson, un paléobiologiste moléculaire ayant contribué à l'étude de Turritopsis dohrnii. Dans la recherche d'un remède pour lutter contre le cancer ou dans des recherches visant à augmenter l'espérance de vie cette infrmation s'avère primordiale.

Revenons à la jeunesse. Peut-on emprunter la stratégie de Turritopsis? Pas en termes de rajeunissement de l’organisme. Mais sur le plan du rajeunissement cellulaire, peut-être. Si nous parvenions à comprendre les mécanismes qui appuient sur les interrupteurs moléculaires, disant aux gènes «Fonctionne!» ou «Ne fonctionne pas!», nous pourrions «rallumer» certains gènes, afin que les cellules continuent de produire certaines protéines essentielles. On déjouerait ainsi les répresseurs qui bloquent la fonctionnalité d’une cellule et qui, soudainement, la rendent vieille. En 2012, Peterson étudiait les microARN (molécule spécialement synthétisé, dans le but est de transmettre l'information génétique située dans le noyau vers le cytoplasme). Les microARN agissent comme commutateur marche-arrêt pour les gènes. Quand le commutateur est éteint, la cellule demeure dans son état primitif, elle est donc indifférenciée, c'est une cellule souche. Quand le commutateur s'allume, la cellule est spécifiée : elle peut devenir une cellule épithéliale, par exemple, ou une cellule de tentacule.
Les micro-ARN joue également un rôle essentiel dans la recherche concernant les cellule souche. En effet, c'est grâce à elles que les cellules souches ont la possibilité de se différencier. La dérégulation des micro-ARN semble être à l'origine d'un grand nombre de tumeurs. Les chercheurs pensent même que les changements du micro-ARN sont la première cause de cancer. Si on arrête les micro-ARN des cellules, la cellule perd son identité et commence à agir chaotiquement. Elle devient alors cancéreuse.
Les hydrozoas fournissent une occasion idéale d'étudier le comportement des microARN. Tout d'abord ce sont des organismes extrêmement simples à étudier et les microARN sont crucial à leur développement biologique. Ils nous permettraient d'apprendre comment combattre le cancer, la vieillesse et la mort. Mais aujourd'hui, nos connaissances envers ces méduses sont très incomplètes ce qui nous empêche de faire des recherches dans le domaine de la médecine.
L’équipe de Lecce travaille en ce moment sur le séquençage complet du génome de Turritopsis, en collaboration avec deux instituts américains. Il y a énormément de travail. En effet, il faut l’effectuer à chaque stade : le polype, la méduse adulte et la méduse en train de se transformer afin de comprendre quels sont les gènes impliqués dans l’inversion du cycle vital.