La mort, XIX° et XX° siècle (hist.)

            Le XIX° s. a vu reculer massivement la mortalité. Pourtant, il s’agit d’un siècle encore fasciné par la mort. C'est le XX° s. qui imposera le silence. La brèche ouverte à l’époque des Lumières s’élargit, brisant définitivement le monopole sur la mort que les Eglises avaient exercé jusque là. A l’âge industriel cohabitent une société de croyants, encore majoritaire puisqu’elle repose sur les campagnes, et une société laïcisée, surtout industrielle et urbaine, sur laquelle le discours religieux n’a plus guère de prise. Mais religieux ou laïque, le discours sur la mort est influencé par la sensibilité romantique.

            Le XIX° s. a connu un « réveil » religieux dans les années 1820-1850 . Les Eglises réformées d’Angleterre, des Etats-Unis, de Scandinavie, d’Allemagne connaissent un renouveau où la musique, la poésie, la littérature, la peinture jouent un rôle important. Frustrés, en l’absence de Purgatoire, de ne pouvoir prier pour les morts, les populations de l’Europe réformée ont développé la croyance à un au-delà peuplé d’êtres désincarnés, d’esprits (c’est dans ces pays que la mode du spiritisme a été le plus largement répandue au XIX° s.). En France, le discours catholique reste centré sur la peur de la mort et les peines du purgatoire. Luttant contre la déchristianisation, l’Eglise doit s’accommoder d’une religion populaire plus tournée que jamais vers les croyances et les pratiques non orthodoxes, dites « superstitions ». Mais de dévotion « à l’usage de soi », on est passé à une dévotion altruiste, pour les autres. Partout, autels et vitraux montrent les âmes souffrantes du Purgatoire que les anges viennent retirer une à une pour les emmener au Paradis. En outre, on ne croit plus guère à l’Enfer au XIX° s. On peut voir dans ces évolutions, étudiés par P. Ariès, une conséquence du progrès de l’affectivité.

Ce progrès n’est pas étranger au développement de la sensibilité romantique, dont la mort constitue l’un des centres de gravité.  La mort est apaisement, endormissement, transport dans la maison du Père, retrouvailles avec les chers disparus. Jamais on n’a tant cru à la reconstitution au ciel des amitiés et des amours séparés par la mort. Jamais on n’a tant cru à la communication entre les vivants et les morts. Et jamais on n’a tant pratiqué le culte du souvenir : médaillons renfermant un portrait et une mèche de cheveux ; chambre du disparu, conservée en l’état ; mourning pictures (gravure, broderie ou peinture représentant le mort ou sa tombe). Avec la mort romantique, on accède bien à la « mort de toi » dont parle P. Ariès. Dans ce modèle, la mort est détournée de soi, projetée sur l’autre : c’est une des mille manières de l’accommoder.

Le XXème siècle sera celui du culte des morts, avec les pèlerinages au cimetière et l’érection de monuments aux morts. Ici la mort s’est «inversée». De bavarde, elle est devenue muette, innommable, cachée, honteuse. En quelques années, un tabou s’est installé. Le déni, la fuite de son existence est indubitable, à tous les plans de culture occidentale. Nous baignons dans une idéologie de la vie réduite à quatre aspects : jeunesse, santé, beauté et richesse. Cet aspect se poursuit et s'amplifie au début du XXI° siècles.