La question de l'immortalité, deux avis divergents (actu et éthique)

 

 

 

Jean-Michel Besnier,
philosophe, docteur en sciences politiques.
Auteur de Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ?
Hachette, 2013, et de L’Homme simplifié.
Le syndrome de la touche étoile
, Fayard, 2012.

 

«L’immortalité ? Un thème, en passe de devenir un marronnier, qui fait symptôme dans les sociétés technologisées. Symptôme de quoi ?
De la démesure des attentes générées par les innovations technoscientifiques. La manipulation des cellules souches pluripotentes induites, la maîtrise des techniques de transgenèse, les recherches sur la télomérase, la fabrication de l’humain par ectogenèse… : l’argumentaire des raisons de croire en la perspective d’une longévité illimitée est désormais disponible au tout-venant. Que révèle, selon moi, ce fantasme d’immortalité installé sur des possibles technologiques ? Le contraire d’un appétit de vivre, un refus pathétique d’accepter que la mort donne son sens à la vie elle-même, une indifférence à la source vive des cultures humaines. La soif d’immortalité exprime l’intolérance au hasard et au temps, ces deux paramètres de notre finitude avec lesquels composent les sciences et les arts. Plus profondément, elle révèle la volonté paradoxale d’en finir avec le désir caractéristique de l’humain et qui suppose la tension sans fin vers l’autre que soi. Immortels, nous serions privés de l’ouverture sur les autres et désespérément solitaires, à l’image de n’importe quel dieu. Le désir d’immortalité, c’est le désir d’en finir avec le désir lui-même. Ulysse devait le pressentir, lui qui choisit d’échapper à Calypso pour retrouver Pénélope. Prenons au sérieux le peu d’importance accordé par les immortalistes à la sexualité. Observons combien ils privilégient la duplication par clonage et répugnent à la reproduction sexuée qui implique le hasard et la mort. Il faut être bien las de vivre pour ne plus même vouloir mourir…

 

Didier Coeurnelle,
coprésident de l’association Heales
(Healthy Life Extension Society)
et auteur de Et si on arrêtait de veillir !, FYP, 2013.

« Si nous considérons que la vie humaine est le bien le plus précieux, lutter contre la première cause mondiale de souffrance et de mortalité est fondamental. Vivre en bonne santé est un droit de l’homme, permettre des progrès médicaux pour une vie plus longue en bonne santé devient un devoir collectif, un devoir des autorités publiques. Cela peut être une composante de l’obligation qui impose à la puissance publique de veiller à notre sécurité et à notre bien-être chaque fois que c’est possible.


Vivre beaucoup plus longtemps en meilleure santé grâce aux progrès médicaux, environnementaux et économiques n’est pas positif seulement pour les individus. C’est un progrès pour la collectivité. Lorsque nous vivons plus longtemps, nous sommes moins violents et plus prudents. Lorsque nous vivons plus longtemps, nous sommes plus attentifs à l’environnement et à un développement durable, puisque l’adage « après-moi, le déluge » s’applique moins. Lorsque nous vivons plus longtemps, nous avons moins d’enfants et le problème de surpopulation ne peut plus se poser à court ou moyen terme. Lorsque nous vivons plus longtemps en bonne santé, les dépenses médicales diminuent, car les plus importantes concernent surtout la fin de vie.


Moins vieillir, est-ce la solution à tout, cela ne va-t-il pas amener l’ennui ? Ce n’est pas la panacée, mais sachons qu’en cette année 2014, la dépression touche plutôt moins les « seniors » en bonne santé qui ont du temps en abondance que les jeunes adultes débordés. 


Mais alors comment avons-nous appris à aimer la mort et la vieillesse ? Nous l’avons appris, parce que nous, êtres humains, sommes les seuls êtres conscients de l’inéluctabilité de notre fin. Alors, il fallait bien « faire contre mauvaise fortune, bon cœur ». En ce début de XXIe siècle, ce sont ceux qui ont peur d’eux-mêmes, peur de la capacité des hommes au progrès et à l’amélioration qui aiment la dégradation rapide et naturelle. Pour les autres, le futur de la longévité et de l’humanité n’est pas sans risques, mais il est extraordinairement prometteur.