perception de la mort au moyen age (hist.)
La mort, salaire du péché originel
En Occident, la mort est presque exclusivement pensée à travers le christianisme.
Au cours du Moyen Age, l’influence de cette religion ne cesse d’augmenter. La domination des Eglises et la pression sociale ont été suffisants jusqu’au XVIII° s pour imposer à la pensée de la mort, le cadre des croyances chrétiennes. Puis, c’est le poids de la culture occidentale qui fait que jusqu’à nos jours, certaines perceptions restent ancrées. Or, au centre de la théologie chrétienne, se trouve l’idée que la mort serait due au péché originel. A l’inverse des religions orientales, qui tendent à dédramatiser le phénomène, la religion chrétienne accentue son caractère traumatisant. Ainsi, la condamnation de la chair et la culpabilisation de la mort constituent deux grandes clefs de la culture occidentale.
L’origine de ce mythe provient du judaïsme. Dès le deuxième chapitre de la Genèse, lorsque Dieu présente à Adam l’arbre de la connaissance du bien et du mal, il précise :
« tu n’en mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort. »
La mort est bien le fruit de la désobéissance, le salaire du péché. C’est un châtiment qui n’ouvre sur rien. On voit que la conception judaïque de la mort, comme châtiment d’un péché, exclut toute idée de survie après celle-ci. Car le Dieu des Juifs, Yahvé, est le Dieu vivant, qui se révèle aux vivants, non aux morts. La religion juive s’écarte ainsi de toutes les autres religions. On remarque que la notion de résurrection des morts apparait plus tard, au cours du VI° av J.-C. Cette dernière se serait développée au temps des Prophètes, après la chute d’Israël, la destruction du Temple et l’Exil à Babylone.
Evolution de la religion parrallèlement aux perceptions de la mort
L’originalité de la mort chrétienne ne s’est manifestée que progressivement. Le premier christianisme a baigné dans les controverses judaïques et a dû se distinguer des religions des païens. Lui-même a été traversé de nombreuses crises au cours desquelles l’interprétation du Nouveau Testament a peu à peu donné naissance à la doctrine chrétienne.
A partir d’Origène se répand, surtout en Orient, la croyance de l’épreuve par le feu et du salut pour tous. On perçoit deux jugements : le premier, immédiatement après la mort est particulier, individuel; le second, ou Jugement dernier, à la fin des temps est collectif. Jusqu’à la fin du Moyen Age prévaut le Jugement dernier, qui s’étale au tympan occidental des églises. A partir du XV° s, il est supplanté par le jugement individuel, qui en vient à prendre toute la place.
Curieusement, les concepts de Purgatoire et de vie après la mort demeure dans le flou jusqu’aux XII°-XIII° s.
Pour désigner cette période qui précède la diffusion du Purgatoire, donc de l’image des tourments épouvantables, P. Ariès a parlé de « mort apprivoisée ». Il désigne ainsi la mort acceptée, dont l’homme à conscience et contre laquelle il ne se rebelle pas. Mort quasi-sereine, dictée par la fatalité, puisque « nous mourrons tous ». Mort-endormissement qui fait entrer en repos celui qui n’a qu’à recommander son âme à Dieu pour être sauvé.
Au VI° s., est fondé l’Enfer tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il se situe sous terre, c’est un lieu de supplices. Les damnés y subissent des peines inégales selon la gravité de leurs fautes, mais ces peines sont éternelles.
L’Enfer a beau être l’expression de la justice de Dieu, son image répendu par l'Eglise est intolérable. Il faut la rendre supportable, lui trouver des remèdes. Il fallut au total quatre siècles (XIII°-XVI° s.) pour que la notion bouleverse profondément l’eschatologie chrétienne et les pratiques qui en résultaient (prières et messes pour les morts, achat d’indulgences...).
Les XIV°-XVI° s. sont le temps fort de ce que P. Ariès nomme « la mort de soi », caractérisée par la hantise du salut individuel, la personnalisation du châtiment et des recours pour l’abréger, ainsi que des moyens d’éviter les fautes. Dans ce système, le Purgatoire joue un rôle clé. Au-delà, c’est la civilisation occidentale tout entière qu’il a modelé. Par l’inflation des messes, des dons et des indulgences, il a assuré à l'Église, par laquelle s’opère la médiation entre les morts et les vivants, une part importante de ses revenus. Au XVII° s. encore, il entraîne un prélèvement de 3 à 4 % sur les patrimoines.
Dans les mentalités, loin d’apaiser les esprits tourmentés, il est la pièce centrale de cette «religion de la peur » qui se met en place à la fin du Moyen Age: peur du péché, de la mort, du Jugement, de l’Enfer. L'Église n’entretient cette peur que pour lui apporter des remèdes, dont elle propose une véritable panoplie : sacrements ( baptême,mariage, eucharistie,etc...), repentir, confession, pénitence, indulgences, prières, messes.