Transhumanisme et concrétisation du rêve d'éternité (actu et sociologie)

Les transhumanistes pensent  pouvoir atteindre la vie éternelle. Ils travaillent sur la conception de nouvelles méthodes permettant de s’affranchir du vieillissement, de se protéger contre les maladies et accidents, ou encore de conserver notre personnalité en vue d’une future résurrection.

« Certains préfèrent assurer leur immortalité par leur descendance, d’autres par leurs œuvres. Je préfère assurer la mienne en ne mourant pas » Woody Allen 


Si, comme nous l’avons vu, le désir de jouvence s’ancre depuis l’aube de la civilisation humaine, notre siècle voit pour la première fois des chercheurs, penseurs du monde entier espérer très sérieusement concrétiser cette ambition. En effet, de nombreuses technologies, telles la génétique, l’étude des cellules souches, la biologie synthétique ou la nanotechnologie nous permettent d’envisager un tel projet de manière rationnelle. Google vient même de lancer une filiale, Calico, qui se propose de lutter contre les maladies liées au vieillissement. Pour Laurent Alexandre, cofondateur de Doctissimo et auteur de La Mort de la mort (2011), « le premier être humain qui vivra mille ans est peut-être déjà né».


 

Pistes de recherche pour lutter contre le vieillissement

Il n'existe actuellement aucun moyen de supprimer le vieillissement et de nous procurer une durée de vie éternelle. Ce résultat ne pourra être assuré que par des technologies future et sans doute lointaine. Mais l'échéance semble se rapprocher. Aux Etats Unis est né le courant transhumaniste. Il se répand à l'international et a fait de l’immortalité l’une de ses principales ambitions. Ray Kurzweil, un des leaders de ce mouvement, envisage un programme en trois étapes. La première consisterait à vivre le plus longtemps possible en adoptant une sévère discipline de vie basée sur nos connaissances et nos technologies actuelles. Le temps d’atteindre la deuxième étape : l’avènement de nouvelles thérapies géniques capables de supprimer le vieillissement. Enfin, la troisième étape consisterait à remplacer nos organes par des équivalents cybernétiques afin de nous protéger de causes de mortalités extérieures à notre propre nature tels que les accidents.

 

Pour passer la première étape, Kurzweil promeut la pratique du sport, ainsi que la relaxation et la méditationmais aussi de se borner à un régime alimentaire très strict.
Effectivement, l’alimentation donne lieu à des pistes dans la lutte contre le vieillissement. Par exemple, nombreux sont ceux qui pratiquent la restriction calorique. Cette pratique revient à se nourrir très en deça des seuils caloriques conseillés. Une telle diette, plutôt difficile à suivre, a fonctionnée étonnement chez des animaux en doublant la durée de vie des rongeurs soumis à ce test ( chez les primates et donc a fortiori chez les humains, les résultats sont moins convainquants ). D’autres, comme le chercheur Michael Rose (qui a réussi en laboratoire à quadrupler la durée de vie d’une population de mouches), s’intéressent plutôt au régime « paléo » qui consiste à éliminer les céréales et les laitages de son alimentation.

Pour l’un des plus fameux optimiste en ce qui concerne la longévité accrue, Aubrey de Grey, ces régimes et compléments alimentaires serait largement inefficaces. Il qualifie le corps de corps de chaotique et non linéaire. Il serait donc difficile de prédire réellement les conséquences de ces modes de vies et de nous assurer qu’ils auront des suites interressantes à long terme. Il conseille, pour sa part, une approche différente et plus complexe. Selon lui, on ne peut prévenir les causes du vieillissement mais on connait les signes de son action. Ils seraient au nombre de sept, parmi lesquels l’apparition de cellules cancéreuses et la mutation des mitochondries. Les scientifiques serient bientot dans la capacité de remédier à ces différents aspects séparément; resterait à appliquer les traitements ensembles.Ainsi, il souhaiterais créer des espaces de « cures de jouvence » capables d’annuler les effets du vieillissement. Autrement dit, on continuerait de vieillir mais en rajeunissant à intervalles réguliers.

 

L’uploading, immortalité garantie ?

Pour certains transhumanistes le secret de l'éternité se situerait au delà des transformations corporelles ou même cybernétiques. Il s’agirait de télécharger le contenu de notre cerveau dans un ordinateur! Cette théorie, à première vue délirante, est partagée par des chercheurs reconnus comme Marvin Minsky, l’un des pères de l’intelligence artificielle.

La théorie prend comme base le fait que notre esprit serait une production émergente de l’interaction entre les neurones. En cartographiant ces interactions et en les reproduisant sur un autre support, nous aurons effectué une « copie de sauvegarde » de notre caractère, de notre personnalité. Il ne resterait plus qu'à placer cette copie dans une nouvelle enveloppe corporelle, artificielle ou même virtuelle, afin de ressusciter l’individu ainsi préservé. Accomplir un tel enregistrement est encore largement hors de notre portée. Par contre, les adeptes de l’uploading suivent avec un grand intérêt les deux grands projets actuellement en cours sur le cerveau. Si le groupe américain Brain initiative entreprend une recherche en neuroscience, les Européens du Human Brain Project se concentrent eux, sur la création d’une simulation informatique du cerveau humain. Cela constituerait une étape fondamentale vers la réalisation de l’uploading.

 

 

Reconstruction de la personnalité

Accordant que l’uploading ne serait etre réalisable avant longtemps, des chercheurs envisagent une technique moins complexe, la « reconstruction de la personnalité ». Parmi les défenseurs de cet axe de recherche, on trouve William Baindbridge, connu pour avoir créé l’acronyme NBIC (pour nano, bio, informatique et cognitive).

L’idée consiste à réunir le maximum de données concernant un individu. Il est déjà possible d’enregistrer une vaste portion de notre vie de manière numérique. Bientôt, nous pourrons même créer des enregistrements vidéo de notre existence entière. Il serait ainsi possible d'élaborer une intelligence artificielle dotée d’une personnalité proche de celle que l'on souhaite restituer. La technique consisterait à soumettre la personne à une série de tests de façon à analyser son comportement grâce aux enregistrements. On implanterait ainsi cet ensemble de souvenirs sur la personnalité artificielle, et cela donnerait une intelligence artificielle reproduisant plus ou moins la personnalité d’origine et constituant ainsi une sorte de « résurrection ».

 

Transhumanisme, un courant ultra-diversifié qui a du mal à réunir ses membres

Une caractéristique des transhumanistes est qu’ils avancent en ordre dispersé, idéologiquement mal déterminé. Ainsi, certains sont persuadés que la naissance d'une intelligence artificielle va permettre de tous nous préserver, tandis que d’autres leurs rient au nez. Les uns ne jurent que sur la cryonique, les autres y voient une superstition que l'on ne saurait qualifier de scientifique. Une majorité est athée, mais on trouve des déistes, des néo païens, des bouddhistes, et même des mormons. Sur le plan politique, on rencontre des libertariens anarcho-capitalistes, mais autant appartiennent à la gauche, voire à l’extrême gauche. Même sur les sujets aussi techniques que la propriété intellectuelle, les clivages persistent entre défenseurs de « l’opensource » ou du logiciel libre et ceux qui, au contraire, pensent que la science n’avance pas sans brevets.

De l’autre coté, la critique n’est guerre plus homogène. On peut adresser au transhumanisme des objections politiques, économiques, métaphysiques et religieuses.

 

Un nouvel axe politique

Pour essayer de mettre de l’ordre, James Hughes ( qui dirigea un temps la World Transhumanist Association) a créé un modèle : celui des trois axes politiques. Traditionnellement, l’analyse politique se partage en deux axes, l’économique ( allant de l’hyper libérallisme au communisme) et le sociétal (partant de l’extrême tolérance jusqu'au conservatisme extreme).  Ainsi, la plupart des membres de la droite traditionnelle sont libéraux au plan économique et conservateurs sur les questions de morale. La configuration de la gauche est inverse. A cela s’ajoutent des groupes plus marginaux qui se situent différemment, par exemple les libertariens (libéraux économiques, moralement tolérants) ou les communistes traditionnels (dirigistes économiquement, moralement conservateur).

La troisième dimension que propose d'ajouter J Hugues est l’axe « biopolitique ». Il permettrait de cartographier les positions qui vont du « bioluddisme » (totale opposition aux transformations biologiques) en passant par le transhumanisme jusqu’au boutiste (reconfiguration complète de la nature humaine voire de la biologie dans son ensemble.) Selon lui, cette troisième dimension révèle des proximités et des oppositions d’un nouveau style qui permettrait une analyse plus entière de notre société nouvelle.

 

Et les religions ?

Contrairement au christianisme, toutes les religions ne contestent pas ce nouveau mode de pensée. L’islam n'a pas souhaité se prononcer sur le sujet de la même façon que le judaïsme.Pourtant dans le livre de M. Rose The Long Tomorrow, l'auteur retranscrit le discours d’un rabbin se prononçant sur l'extansion de la durée de vie : «  le judaïsme identifie Dieu et la vie, a expliqué ce dernier. La mort n’a aucun caractère de rédemption. La mort est absurde. La mort est mon ennemi. » Il termina son intervention en manifestant son soutient aux recherche sur l’extension de la longévité. Coté bouddhiste, on remarque peu de réactions sur ce sujet mais on note tout de même une forte connexion entre philosophes, bouddhistes et transhumanistes. J. Hugues fait partie des activistes proches du transhumanismes et bouddhistes pratiquants.

 

Interrogations économiques

Les interrogations économiques sont sans doute les plus préoccupantes. La question se pose forcément, l'immortalité serait-elle reservée aux riches? Il est certains que si, dans l'avenir, apparaissent des remèdes contre le vieillissement, on les obtiendra plus facilement à Los Angeles ou Paris, qu’aà Lagos ou dans la campagne indienne. Qu’en est t'il de la surpopulation et de l’épuisement des ressources ? Certes, plus un pays est développé, plus ses habitants vivent longtemps et, plus sa population à une espérance de vie importante, moins elle tend à augmenter. Mais ici, il n'est plus question d’une longévité accrue de quelques trimestres, voire quelques années, mais de 150, 200 ou 300 ans ! Rien ne dit que cette statistique se confirmera, surtout si nous devenons capable de procréer tous les 30 ou 40 ans… De plus, aujourd’hui 20% de la population mondiale utilise 80% des ressources terrestres. Si l’on choisit comme critère des conditions de vies élevées, à l'occidentale nous sommes déjà en surpopulation.

La suppression du vieillissement ne pourrais donc pas fonctionner de manière viable sans que l’on assure un accès relativement égalitaire aux ressources. Une solution serait de partir en quête de nouvelles richesses et de nouveaux espaces. Il est intéressant de voir que les premiers mouvements « transhumanistes » des années 1970, se sont formés autour de groupes envisageant la colonisation civile de l’espace, moins sous la forme d’une installation sur les planètes du système solaire que par la mise en place de « cités spatiales » dans la haute orbite terrestre. A cette époque, la question de la longévité était liée à celle de l’espace. Cette connexion a disparue au fil des année. Etrangement, il semble désormais beaucoup plus facile d’abolir notre condition mortelle que de réaliser une base sur la lune.